Hervé sur le plat de Reinthal.

L'auteur en bonne compagnie. Pourquoi l’Autriche ? Les orientations que peuvent prendre un pêcheur au cours de sa carrière tiennent parfois à bien peu de chose.

Pêcheur au ver, à la cuillère, à la mouche ; passionné de rivières normandes, bretonnes, pyrénéennes ou francomtoises, c’est notre destin mais aussi notre instinct qui guide nos choix.

Pour ma part, c’est grâce à mon épouse, un jour de janvier 1985, que mes rêves de pêcheur se tournèrent vers l’Autriche.
Elle déposa sur la table du salon un magazine de pêche à la mouche qui avait pour titre principal : « 30 parcours autrichiens à la loupe. » Je me plongeai dans ce mensuel et décortiquai un à un les parcours, tous plus prometteurs les uns que les autres.

Je n’avais pas encore osé évoquer la possibilité de mettre le cap à l’est que ma femme me proposa d’y aller l’année suivante. Il ne fallait pas me le dire deux fois. Je jetai mon dévolu sur La Lammer, rivière gérée par la famille Schwarz, propriétaire de l’hôtel « Haus Saint Georg » à Golling, 20 Kms au sud de Salzbourg.

Le parcours faisait 12.5 kms plus 1.5 km sur un petit affluent, « le Schwarzbach ». La pêche était gratuite pour les clients de l’hôtel. Femme, enfants, belle-mère et beau-père ( qui n’avait fait découvrir la pêche à la mouche quelques années plus tôt) débarquèrent un jour de Juin 86 au Haus st Georg, petit hôtel planté sur un gros rocher dominant de plusieurs dizaines de mètres la vallée de la Salzach. La prise de contact avec cette rivière fut saisissante. Pêcheur breton, je passais de nos cours d’eau de 6 ou 7 mètres, aux eaux couleur de thé, à cette rivière d’un vert émeraude de 30 à 40 mètres de large dégringolant des Dolomites salzbourgeoises. Notre séjour fut idyllique. Des arcs de 35 à 40 cm qui montaient avec avidité sur des « big black gnat »et des « red tag » hameçon 14, dans les enrochements des berges, aux farios en embuscade le long des rochers moussus sans oublier les ombres de 40/45 cm qui se battaient en plein courant, s’appuyant sur leur magnifique dorsale. Tout était réuni pour tomber amoureux de l’Autriche. Je fréquentai la Lammer les deux années suivantes avec des conditions de pêche différentes mais avec des poissons toujours aussi prompts à saisir la mouche sèche. Après ces années bénies, le Haus st Georg a fermé ses portes et la rivière n’était plus accessible. C’est en faisant visiter le coin à mes amis en juillet 2004 que je découvris le long de la Lammer quelques véhicules immatriculés en France avec le tube caractéristique en évidence sur la plage arrière. Renseignements pris, le permis de pêche était à nouveau délivré moyennant la coquette somme de cent euros la journée. En 1990, toute la famille prit la direction de Bad-Ischl situé à une soixantaine de kilomètres à l’est de Salzbourg. Cette ville d’eau est traversée par la Traun. Les 4.5 kms du parcours public de l’Ischl Traun s’étendent du centre ville de Bad-Ischl au village de Lauffen, en amont. Le parcours « no-kill » ne se pêchait à l’époque qu’en cuissardes. De son peuplement piscicole, je préférais de loin ses magnifiques farios que je pêchais en revers, le long des rochers moussus, rive gauche. L’Ischl, affluent de la Traun, était également accessible. Le fond, constitué de galets blancs, donnait aux truites une couleur presque blanche. Seuls leurs points rouges concédaient une note de couleur sur leurs flancs. Les ombres se pêchaient à vue dans cette eau cristalline où, seule leur…ombre s’étalant sur le fond clair, trahissait leur présence. La pêche de l’Ischl était à déconseiller en été par temps chaud car les baigneurs occupaient bien souvent les pools intéressants. Il y a quelques années, une banque suisse loua le parcours pour ses clients mais il me semble qu’actuellement, une association : « les amis de la Traun » délivre des permis au commun des mortels. Je pêchai donc la Traun de B.I. en Juillet 90 et 91 ainsi que les parcours de la haute Traun dont je parlerai plus tard. En 92, je pris encore mes quartiers à Bad-Ischl mais décidai d’aller me mesurer aux truites de la basse Traun. La fameuse Traun de Gmunden. La description qu’en avait faite mon magazine quelques années plus tôt m’inspirait moyennement. On y parlait, bien sûr, des fameux « coups du soir » à ne rater sous aucun prétexte, mais il était également écrit que la pêche en journée se résumait à une prospection des pools au streamer plus ou moins plombé car les truites sortaient peu dans la journée. En Breton têtu, je me disais qu’en pêchant les enrochements, les courants, ou sous les branches, à la Bretonne quoi !... je réussirais peut-être à tromper quelques poissons en sèche ou en nymphe à vue. Et, de toute façon, les ombres occupaient les gravières dans la journée, alors … A Dieu vat… En juillet 92, je traînai avec moi ma petite famille pendant plus d’un jour et demi afin de repérer les accès et les meilleurs secteurs de la rivière. Bénie soit ma patiente épouse. Puis je pris mon permis au célèbre hôtel Marienbrücke. A l’époque, la rivière était gérée par l’office des Eaux et Forêts. Pour deux semaines consécutives, le permis coûtait 2700 shillings soit : moins de 14 euros la journée. Je choisi de faire mes premiers pas sur cette mythique rivière au lieu dit : « Reinthal ». Aux innocents les mains pleines, je trouvai du premier coup la passe qui permettait d’accéder au milieu de la rivière. Sur une gravière formée par les vestiges d’un ancien moulin, j’aperçus assez rapidement de discrets gobages là où la veine d’eau se resserrait. Après deux ou trois passages d’une red tag, je posai sur l’eau une petite mouche blanche en hameçon 16. Au bout d’une paire d’heures, j’avais mis « à » l’épuisette une douzaine d’ombres dont le plus petit faisait 42cm et le plus gros 50cm. Je n’en espérais pas tant. Je me postai pour le coup du soir quelques kilomètres en amont, en queue d’une fosse qui me semblait prometteuse. Vers 19 heures, les premières truites quittaient leurs repères dans les enrochements des berges ou sous les énormes blocs qui parsèment le lit de la Traun, chassant en pleines eaux, tantôt gobant, tantôt avançant gueule ouverte, engloutissant les mouches qui recouvraient maintenant d’un tapis la rivière. Sur une hauteur de 2 mètres environ, des milliers de mouches occupaient l’espace. Au tout début de l’éclosion, je ferrai rapidement 2 truites d’environ 50 cm et, comme disait Aznavour, « je me voyais déjà en haut de l’affiche », mais, les centaines de lancer suivant sur plus de 20 truites, essuyèrent tous des refus catégoriques. Les truites de la Traun s’étaient bien moquées de moi. Mais les défaites cuisantes sont toujours plus enrichissantes que les victoires faciles. Je garde de cette première journée sur la Traun de Gmunden un excellent souvenir. Depuis ce temps, je retourne tous les ans sur cette rivière qui a fait couler beaucoup d’encre. J’ai lu à son sujet des énormités du genre : « La pêche en wading est impossible… il faut faire des lancers roulés de 20 ou 30 mètres pour prendre du poisson… c’est pollué… le poisson n’est pas sauvage » etc, etc… Je dois dire à ces pêcheurs frustrés qu’il ne suffit pas de payer un droit de pêche, fût-il même de 45 euros la journée pour prendre du poisson. Je fréquente cette rivière depuis une quinzaine d’années et j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. 1ère : Les meilleurs coins de la rivière se méritent, j’en découvre tous les ans de nouveaux. On ne juge pas une rivière en la pêchant deux ou trois jours. 2ème : Je l’ai pêchée en juin, juillet, septembre et octobre et je n’ai jamais eu deux fois les mêmes conditions de pêche. 3ème : Les pêcheurs qui la pratiquent depuis les années 70 affirment qu’il y a autant d’éclosions qu’il y a trente ans. Vous avez dit : pollution ? 4ème : 90 pour cent de mes captures se font entre 8 et 15 mètres. Je pratique également avec succès la pêche à l’arbalète sous les branches surplombant la berge. Les ombres et les truites se prennent en bout de canne. Attention à la casse. 5ème : Quand au wading, les photos parlent d’elles-mêmes. Quand Monsieur Rudi Heger loua les droits de pêche sur la Gmunder Traun en 1997, la rivière n’était pas au mieux. La politique de gestion des Eaux et Forêts affichait des carences notamment au niveau de la pyramide des âges. Un déversement de poissons adultes (le seul à ma connaissance) fut effectué afin de repeupler artificiellement la Traun. Mais, quand vous êtes face à cette rivière de 40 à 100 mètres de large avec des fosses de plusieurs mètres sur plus de 12 km de long, vous comprenez bien vite que seule une gestion patrimoniale ou semi-patrimoniale est possible. Depuis ce temps, une gestion très rigoureuse a été instaurée. Les alevinages de truites et ombres issus de poissons sauvages de la rivière sont effectués tous les ans. Si vous êtes amateur de brochet à la mouche, vous y pêcherez à vue, des « bestiaux » de plus d’un mètre. Si les truites vous boudent, vous pourrez attaquer les chevesnes, les barbeaux ou les perches. Mais sachez bien une chose : la première condition pour un séjour de pêche réussi sur la Traun comme ailleurs, c’est d’avoir des eaux « en ordre ». Réserver des mois à l’avance se résume à une partie de poker et, quelle que soit la rivière, si les orages ont gonflé les eaux, la pêche sera mauvaise. En 93, après 1700 km en famille et trois jours d’attente, la mort dans l’âme, je pris le chemin du retour sans avoir pu poser mes mouches sur la Traun en crue. C’est aussi cela la pêche. Depuis de nombreuses années déjà, la famille reste en Bretagne, ce qui m’a permis de faire découvrir cette région à de nombreux amis. La mise en commun de nos expériences nous a permis de sélectionner une demi-douzaine de mouches comme la « royal Traun ou la Kergadou » (voir montage mouches) qui se sont révélées après plusieurs années être de valeur sûre pour cette rivière. Certaines de ces mouches sont nées grâce aux fruits du hasard. En voici deux exemples : C’était un de ces débuts de soirée sur la Traun du côté des Hagerwiese, les truites et les ombres s’étaient mis à table. Malheureusement, mes mouches faisaient « chou blanc ». Comme souvent sur cette rivière, j’assistais à des éclosions multiples et il était impossible de deviner ce que ses satanés poissons prenaient. Cependant, de petites mouches blanches, dérivant ailes dressées, attiraient mon attention. Je fouillai dans ma boîte à la recherche de la mouche miracle. Je tombai sur une paire de mouches (mes essais sont toujours réalisés en deux exemplaires) qui semblaient se rapprocher de la réalité. Au premier lancer, l’artificielle se posa à près d’un mètre de la truite la plus proche. A peine la mouche s’était-elle mise à dériver que l’arc, d’un coup de queue, se dirigea vers elle et la saisit sans hésitation. Tout juste remis de ma surprise, je décrochai la truite et attaquai un autre poisson qui succomba à l’artificielle, déroula toute ma soie, sonda et remonta en chandelle pour finir par « exploser » mon bas de ligne. Je nouai ma seconde mouche en prenant bien soin de la mémoriser. La fête se prolongea près d’une heure avant que les poissons ne changent de menu. Tout à mon triomphe, je nommai « modestement » cette mouche la « Jo killer ». L’année suivante, je pêchais en amont des courants de « Radlmühle » en compagnie de mon ami Eric. Celui-ci avait entrepris de progresser dans le bois afin de ne pas déranger les truites en maraude le long des bords. Un malheureux faux-pas le fit dégringoler du talus, il s’agrippa désespérément au sol meuble en y laissant l’empreinte de ses doigts. Les truites en rigolent encore. A la suite de cet « exploit », il s’autoproclama : Eric dit « le félin ». Le lendemain matin, comme chaque jour, nous montions des mouches à l’appartement en tenant compte des observations faites la veille. De l’étau d’Eric naquit une artificielle à base de cul de canard imitant un sedge émergent. Rapidement cette imitation se montra très efficace. Elle fut nommée en souvenir de cette mémorable chute : « la féline killer. » La F.K. et la J.K. sont très complémentaires ; en effet, l’une imitant un sedge émergent, l’autre un éphémère émergent, quand l’une fonctionne, l’autre essuie systématiquement des refus et inversement. Mais, comme je le disais plus haut, la météo est notre préoccupation essentielle et, afin de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier, sur notre séjour de 11 jours, nous consacrons tous les ans trois journées de pêche à la haute Traun du côté de Bad-Aussee ; où, devrais-je plutôt dire : les hautes Traun. En effet, Bad-Aussee est le lieu de confluence des trois rivières, la Grundlsee Traun, la Kainisch Traun et l’Altausee Traun qui , après leur réunion, forment la Koppentraun, à Bad-Aussee, qui devient la Traun après s’être jetée dans l’Hallstättersee. Ayant déjà dégrossi le terrain il y a quelques années, nous pêchons la Koppentraun gérée par Herbert Grill et le superbe parcours du regretté Gustav Öhlinger sur la Kainisch Traun. La Koppen est une rivière déjà puissante peuplée d’arcs et de farios. Les coups sont très variés. Même si les microcentrales ont effacé quelques magnifiques secteurs, le cadre y est toujours sauvage et les truites de belle taille. Mais de tous les parcours de la haute Traun, c’est celui de feu Gustav Öhlinger sur la Kainisch que je préfère. Les 4 km sont disponibles pour 4 pêcheurs au maximum. Les dimensions de la rivière me rappellent mes cours d’eau bretons mais le décor n’est plus le même. En amont du parcours, pas une route, pas un fil électrique, pas une maison. La rivière, les prés et les bois, les neiges rosissant au soleil couchant. Le paradis. La rivière, de 4 à 8 mètres abrite, en plus des arcs et des farios, des ombres et des saumons de fontaine. Là-haut, les poissons sont aussi sauvages que la nature est belle. Ne vous fiez pas à ses dimensions, cette petite beauté cache des ombres et des truites de belle taille. En 2004, malgré une température de 3 à 4 degrés …en juillet, nous avons pris dans un même courant plus d’une demi-douzaine d’ombres de plus de 40 cm. (un DVD a été réalisé pour le club sur notre séjour en Juillet 2004). Voilà comment l’achat d’un magazine, il y a plus de 20 ans, m’a ouvert d’autres horizons. Mon seul regret est de devoir faire 3500 km pour assouvir ma passion alors qu’en bas de nos prairies, aux confins de nos vallées, coulent des rivières sauvages qui, mieux gérées, nous procureraient tout autant de plaisir. Mais cela est une autre affaire.

Joël Bougain

Un bel ombre de 48cm                                                                           Jean-Jacques à la recherche des ombres.

J.J. à l'arbalette sous les branches de Reinthal.                                           Les Hagerwiese.